Il y a quelques année, dans les maisons de mes grand-parents, j’avais pris des photos de détails d'objets, de décors, comme pour convoquer des souvenirs d'enfance, révélateurs d'une époque ou d'un mode de vie. J'ai eu envie d'étendre ce projet en partant à la rencontre de cinq personnes, inconnues cette fois, avec l'idée de présenter une certaine diversité dans les modes d’habitat.
Présenté sous la forme d'une exposition et de diaporamas sonores, cet exercice de portraits est librement inspiré par le livre de Mona Chollet : "Chez Soi: une odyssée de l'espace domestique".
Un dessin et une maison ont en commun d'être des productions manuelles, de se déployer dans un cadre circonscrit et d'exprimer une personnalité dans ce qu'elle a de plus singulier.
Mona Chollet
Je remercie Vincent, Suzanne, Marie-Christine, Gaëlle et Pascal, de m'avoir ouvert leurs portes pour me raconter leurs habitats dans sa dimension la plus intime, la plus personnelle.
Je m'appelle Vincent, j'ai 62 ans et je suis escargoté depuis 15 ans sur les bords de l'Erdre.
Dans 40m², au calme, la route est un peu loin, y a plein de verdure, la lumière est belle et ça pour un photographe, travailler dans une belle lumière intérieure, c'est pas si mal, elle pourrait être mieux… mais c'est déjà pas mal! C'est largement le standing de ce qu'on peut trouver en centre-ville, accessible aux pauvres comme moi. Puisqu'en tant qu'allocataire méritant du RSA depuis fort longtemps, je peux vivre ici pour pas bien cher...
C'est un endroit où je lis. C'est un endroit où je suis extrêmement connecté avec le monde, à travers ma centrale de communication. C'est plus un assemblage, que je ne maîtrise pas, que la vie a apporté, de choses qui s'empilent un peu à gauche à droite, dans un bordel que je ne vois même pas! Parce que cela me passe totalement au-dessus de la tête. ...parsemé de-ci de-là de photos que j'ai choisies pour des raisons purement techniques pour voir comment les couleurs tiennent à la vapeur de cuisine ou des choses comme ça, plus que l'aspect décoratif. Si, elles sont un peu décoratives, y a une photo qui m'a vachement plu alors j'ai fait dix tirages avant de trouver que celui là j'allais l'afficher mais ouf j'ai fait un effort pour plusieurs années là! Je cultive ma petite décroissance et puis une consommation un peu raisonnée... Je me méfie de l'hyper activisme qui n'est bon ni pour soi ni pour la société. Y a un petit peu de camping là dedans parce que je voyage léger toujours en moto par tous les temps et que je dors n'importe où sans aucun problème de santé.
Y a au moins quatre ou cinq sacs de matériel : des pieds, des appareils photos, des ordinateurs de travail, des choses comme ça. Quand je suis chez moi, je suis à l'extérieur dans ma tête… mon esprit est partout… dans mes livres, dans mes histoires dans mes choses. Je ne me vis pas comme étant à l'intérieur. C'est peut-être pour ça que j'ai l'impression d'être encore plus à l'extérieur que je ne le suis. Je ne suis pas du tout un homme d'intérieur au sens premier du terme, ça c'est sûr.
Je m'appelle Gaëlle, j'ai 41 ans, je vis dans cette maison avec mon conjoint Julien et nos trois enfants qui ont 16, 12 et 10 ans.
On est un couple d'architectes donc même si cette maison elle était comme on dit "dans son jus", elle pouvait un peu inquiéter, il y avait une odeur d'égouts... il y avait différentes choses qui ne fonctionnaient pas très bien… nous effectivement on a pu, sans doute par rapport à d'autres gens, se projeter davantage dans un projet. Cette maison au départ, ce qui nous a fait la choisir c'est vraiment qu'on s'est sentis chez nous, il y a eu une espèce de sensation… quand on rentre, on voit directement dans le jardin, on a un très grand marronnier qui doit avoir une centaine d'années. Après, cette maison on l'a complètement désossée mais l'idée c'était quand même de garder son caractère. La propriétaire, elle avait 82 ans, elle est décédée depuis, mais c'était important pour nous de garder des traces de la façon dont ces gens avaient conçu leur maison, dont ils avaient habité là.
Notre regard d'architecte analyse la façon dont on peut transformer un lieu, quelles sont les possibilités, comment nous, on pouvait l'investir…. Ce qui nous a surtout intéressés c'est comment la lumière tournait autour de cette maison, le fait qu'elle soit orientée Est-Ouest. On aurait pu mettre la cuisine sur la rue, mais la cuisine on l’a mise sur le jardin parce que le soleil, il est là le matin. Donc c'est vraiment chouette les rayons du soleil dans la cuisine. On a gardé la même partition des fenêtres, le même dessin.
Notre projet d'extension, c'est une extension d'à peu près 40m². Et l'idée, c'est de créer une entrée, une vraie entrée parce que pour le moment, on entre dans la maison directement et du coup, que ce soit le facteur ou n'importe qui, quand il rentre, il voit tout notre intérieur. Donc ça, cela ne me dérangeait pas il y a quelques années et maintenant je crois que j'ai besoin d'un peu plus d'intimité.
Pour moi une maison c'est vivant, c'est vivant au départ et nous quand on vient habiter dedans, on lui permet de continuer à vivre, on lui impulse quelque chose qui fait qu'elle revit d'une autre manière mais elle continue à vivre. Pour moi, c'est important cette continuité.
Je m'appelle Suzanne, j'ai 30 ans, j'habite au troisième et dernier étage d'un petit immeuble des années 1930.
Il se trouve en haut d'un escalier assez raide, presque une échelle de meunier qui monterait au grenier. C'est un appartement qui ressemble un peu à une cabane sous les toits. Il est coupé en deux en fait. Donc chaque pièce à son pan de toit et sa fenêtre. Ca fait 30m². Je suis musicienne, je joue du violoncelle, je chante et je joue un peu d'autres instruments.
Actuellement mes instruments sont un peu dans les coins pour libérer l'espace central qui est celui que j'occupe pour travailler. D'ailleurs le plafonnier, la boule chinoise est pleine de trous puisque je m'installe en dessous avec mon violoncelle et mon archet cogne dedans régulièrement. Mais j'ai essayé de garder l'espace au centre de cette pièce disponible pour pouvoir justement m'y installer pour répéter ou pour travailler sur l'ordinateur, ou juste m'asseoir et rêvasser, éventuellement. Il y a aussi beaucoup d'objets personnels, des traces de la vie, des cadeaux de mes élèves, des photos de ma famille, que j'ai du mal à ranger ou dont j'ai du mal à me séparer.
Avant on a habité très longtemps un grand appartement. Et puis mes parents se sont séparés, ma mère est partie de cet appartement. Du coup, il n'y a plus un lieu qui garderait la mémoire de notre enfance. Dans les cartons y a quelques objets choisis. Cela fait cinq ans que je suis locataire ici. J'aime l'idée de pouvoir bouger. J'ai toujours un peu rêvé d'habiter chez les uns, les autres, dans des grandes et belles maisons comme les écrivains qui seraient chez leurs mécènes. ...un peu comme Rousseau qui habitait chez Mme de Warens, ou bien il se faisait héberger à droite à gauche lors de ses voyages.
Je suis Pascal, j'ai 40 ans, j'habite sur l'île de Nantes dans l'appartement d'un immeuble neuf d'un quartier en plein renouvellement.
J'ai des attaches familiales historiquement. Mon arrière-grand-mère travaillait à la biscuiterie nantaise. Ma grand-mère a travaillé dans le quartier, mon grand-père aussi. C'est un quartier en plein renouvellement avec de nouveaux créateurs qui prennent un peu la suite logique de gens qui ont construit des navires, qui ont bâti beaucoup de choses il y a maintenant quasiment un siècle. J'étais en colocation et puis mes parents souhaitaient investir dans un petit appartement. Je les ai orientés vers l'Île de Nantes et au final je me suis aperçu que je n'avais pas les moyens d'acheter un appartement à l'époque mais ils m'ont proposé d'être le locataire de leur appartement. Et ça me permettait aussi de vivre dans un espace qui pouvait être à moi en terme d'usages.
Pour moi, l'intérieur cela a une dimension très importante, c'est un peu un espace refuge, un espace dans lequel je me ressource. Travaillant dans le domaine des médias et de la communication, j'ai choisi de faire réaliser mon bureau par un ébéniste, parce que je voulais qu'il soit adapté à mes usages, à ma taille pour travailler au quotidien sur mes notes, à mes carnets, à l'ordinateur, à traiter mes photos, du son…
Avec ma compagne Séverine et son petit garçon Raphaël, on a le projet de changer d'appartement, d'avoir un lieu qui nous correspond. Il nous faudrait un peu plus grand, mais actuellement dans la métropole nantaise, c'est quand même difficile de trouver une offre adaptée à nos besoins et surtout dans nos prix. Et je pense qu'actuellement nous n'avons pas les moyens de pouvoir rester dans ce quartier. Donc on est un peu tiraillés. Nous, notre objectif c'est plutôt de rester en ville, parce qu'on a pas mal d'activités qui y sont liées, en journée, en soirée ou autre, donc c'est plus adapté. Pouvoir faire du vélo en un quart d'heure sur les bords de Loire, pouvoir aller boire un coup en centre-ville en un quart d'heure, faire ses courses à la Petite Hollande en un quart d'heure. Ca permet de pas perdre trop de temps, et de pouvoir plus lire, plus se reposer… faire des trucs que l'on aime quoi, tout simplement.
Je m'appelle Marie-Christine, je viens d'avoir 70 ans. J'habite une grande maison en périphérie du centre-ville avec mon mari.
C'est une maison des années 1950, assez massive qui a une surface au sol d'environ 100m². On cherchait une maison avec possibilité de faire un jardin potager. Mon mari, sa passion c'est le jardinage, entre autres. Et moi, une de mes passions c'est la psychanalyse.
Quand on a emménagé il y a vingt ans, non, ce n'était pas du tout, tout de suite, le grand amour. Il a fallu un peu de temps avant de nous approprier et d'investir la maison pour en faire un lieu agréable à vivre et nous convenant. Il y a notre étage de vie à notre couple et à notre famille. Je descends d'un étage et je suis en même temps chez moi et en même temps ailleurs. C'était important que j'aie mon espace professionnel pour exercer mon métier de psychanalyste. Au rez-de-chaussée nous avons installé un studio habitable par quelqu'un de la famille ou quelqu'un d'extérieur.
Mon mari a horreur des pièces toutes vides et trop clean. Donc il y a une accumulation, il y a beaucoup de livres aussi, beaucoup d'objets. Il aime bien organiser des réunions, des groupes qui composent, pas une installation, mais un petit peu quelque chose comme ca. Et moi je le laisse faire parce qu'en général je trouve que c'est bien.
Lui aime beaucoup les masques, moi surtout les marionnettes et les sculptures. Les marionnettes ça a fait un pont avec mon métier de psychanalyste parce que j'ai été amenée à m'en servir dans un dispositif thérapeutique avec des personnes psychotiques et autistes. C'est des objets que nous avons ramenés de nos voyages. Ou des objets que nous avons trouvés dans des maisons de nos familles respectives. Chez moi, chez nous, c'est vrai que ca a toujours été comme ça. Parce que c'est vrai que cela fait 40 ans qu'on est ensemble quand même. … ça a toujours été important la décoration de la maison.